Un satellite, un avion et un bateau à la poursuite des vagues
Depuis 2018, perché au-dessus de nos têtes, un satellite mesure les vents et les vagues. Afin de s’assurer de la justesse des données récoltées depuis l’espace, plusieurs équipes de scientifiques sillonnent les océans pour faire des mesures in situ. Coordonnée par Peter Sutherland et Danièle Hauser, directeur de recherche CNRS au Laboratoire "Atmosphères et Observations Spatiales" - LATMOS (CNRS/UVSQ/Sorbonne Univ.), la mission SUMOS vient tout juste de s’achever. Récit de ce travail collectif entre ciel et mer.
Sources de plaisir pour les surfeurs et les véliplanchistes, objets de fascination pour les peintres, les vagues qui courent à la surface de la mer sont aussi d’un grand intérêt pour les scientifiques. Elles jouent en effet un rôle de première importance au sein d’un grand nombre de phénomènes océaniques. Dans les régions polaires par exemple, leur balancement façonne puis désagrège la glace de mer de l’automne au printemps. Sous les tropiques, on les rencontre sous un jour plus menaçant lors des épisodes de cyclones et autres tempêtes. En région côtière elles jouent un rôle majeur sur l’évolution de la répartition des sédiments marins, l’érosion des côtes ou encore la surélévation du niveau de l’eau lors des tempêtes.
Ainsi, les chercheurs les observent-ils sous toutes les coutures afin de mieux comprendre comment elles se développent, comment elles se déplacent et comment elles se dissipent. Il s’agit, en définitive, d’être capable de mieux prévoir ces multiples phénomènes. Plus généralement, les vagues sont la manifestation des échanges d’énergie entre l’océan et l’atmosphère : nées de la caresse du vent à la surface de l’eau, les vagues transfèrent ensuite cette énergie reçue de l’atmosphère vers l’océan en y imprimant leur mouvement. La connaissance de ces mécanismes est cruciale pour une meilleure compréhension du fonctionnement du climat terrestre.
Un satellite pour scruter la surface de la mer
Le China France Oceanography SATellite – CFOSAT pour les intimes – est, comme son nom l’indique, un satellite né d’une coopération scientifique entre la Chine et la France. Lancé en octobre 2018, il est équipé de deux radars : SCAT, instrument chinois dédié à la mesure de la vitesse et de la direction des vents marins, et SWIM, dédié à la mesure des vagues. Les deux instruments envoient régulièrement des signaux en direction de la Terre tout au long de leur trajectoire orbitale autour de celle-ci. Ces signaux radars sont réfléchis différemment vers le satellite selon qu’ils rencontrent une mer calme ou agitée, des vents forts ou faibles. En analysant ces informations, les chercheurs sont ainsi capables de se faire une idée assez précise de ce qui se passait à la surface de la mer au moment de son survol par le satellite.
Néanmoins, transformer des données brutes en des renseignements géophysiques tels que la hauteur, la direction ou encore la longueur d’onde des vagues n’est pas chose aisée. Cette étape repose sur de nombreux calculs et hypothèses. Par exemple une des principales difficultés pour les mesures de vagues avec SWIM est de s’affranchir des perturbations engendrées par le bruit de chatoiement qui se mélange au signal radar (appelé speckle en anglais) et de repousser les limites de détection des vagues vers les vagues les plus courtes (actuellement la limite est entre 30 et 70 m de longueur d’onde).
Afin de s’assurer de la justesse de leurs analyses et d’améliorer encore les estimations des paramètres fournis par CFOSAT, les équipes de scientifiques ont donc cherché à collecter des informations supplémentaires sur l’état de la mer par d’autres biais. Ils utilisent pour cela les données d’autres missions spatiales, les données de bouées du réseau mondial et les données de modèles numériques mais ils ont également organisé des campagnes océanographiques et aériennes spécifiques dans l’objectif de valider en détail les données de CFOSAT et d’améliorer les méthodes d’estimation des paramètres géophysiques à partir des signaux radar.
Avion et navire sur les traces du satellite
Achevée il y a quelques jours, la campagne SUMOS – SUrface Measurement for Oceanographic Satellites – avait pour objectif principal d’effectuer des mesures permettant la validation des observations faites à l’aide du satellite CFOSAT. Afin de récolter les informations voulues, un navire de la flotte océanographique française, l’Atalante, a été mobilisé un mois durant tandis qu’un avion instrumenté de l’UMS Safire, l’ATR42 F-HMTO, a été réquisitionné pour faire plusieurs vols par jour pendant trois semaines.
Le navire de recherche est parti en mission équipé de nombreux instruments : un radar par exemple, permettant de faire des mesures de vagues, ou encore des appareils de photographie stéréographique et polarimétrique permettant de les étudier dans les moindres détails. A bord de l’Atalante, une partie du travail des chercheurs était aussi dédiée à la mise à l’eau de certains instruments : diverses bouées dérivantes équipées d’appareils de mesure permettant d’obtenir des informations détaillées sur les vagues, sur les courants de surface et sur les vents ont été placées dans des zones survolées par le satellite puis repêchées.
L’avion, lui, a volé avec à son bord deux radars - KuROS et KaRADOC – dédiés à la mesure du vent et des vagues pour l’un et du courant de surface pour l’autre. Ses plans de vol avaient été définis minutieusement en fonction des jours et des heures de passage de CFOSAT.
Initialement prévue au printemps 2020, cette campagne soutenue par le CNES avait dû être repoussée en raison de la crise sanitaire. Une source de déception qui s’est avérée être une chance : la belle variété de temps du mois de février dernier a été bien plus riche en enseignements que le calme plat d’avril 2020 !
Retour de campagne : les premiers résultats
Les données récoltées par le satellite depuis son lancement ont déjà pu être utilisées par de nombreux chercheurs. Elles servent aujourd’hui par exemple à Météo France pour améliorer ses modèles numériques de prévision météorologique. Mais ces modèles ne sont pas encore capables de bien prévoir les vagues dans certaines zones, comme l’Océan austral. En y intégrant les nouvelles informations obtenues, on note une nette amélioration des prévisions. Les données fournies par le satellite nous permettent aussi déjà de saisir plus précisément le rôle joué par les vagues dans les échanges entre l’océan et l’atmosphère, de mieux connaître l’évolution des vagues générées par les cyclones, de mieux comprendre la façon dont elles se répartissent selon les bassins océaniques, ou encore de mieux prévoir des phénomènes comme l’érosion côtière, conséquence de l’impact des vagues à la côte.
Depuis leur retour du golfe de Gascogne, les équipes scientifiques embarquées sur l’Atalante et sur l’ATR42 s’échangent les données qu’ils ont collectées pendant la campagne. S’en suivra un long travail de comparaison avec les mesures réalisées par les radars de CFOSAT, afin de vérifier et de valider ces dernières. Rendez-vous dans six mois pour une première vague de … résultats !
Propos recueillis par Anne Brès et Ariane Mureau