Fabriquer un filtre à spin avec du graphène 2D
L'ajout d'une couche monoatomique de graphène dans une jonction magnétique modifie ses propriétés et permet de la transformer en un filtre à spin aux propriétés très utiles en spintronique.
L’électronique de spin est utilisée pour le stockage de l’information, la réalisation d'opérations logiques, de calculs quantiques ou neuromorphiques (inspirés des réseaux neuronaux du cerveau). Son originalité consiste à rassembler le stockage et le traitement de l’information sous la même variable de spin, et à réaliser le traitement de l’information directement dans les espaces de stockage numérique (« in-memory processing »). Le fer de lance de cette vision sont les mémoires magnétiques MRAM au cœur desquelles on cherche le contrôle des spins à l’échelle nanométrique.
Une équipe de l’Unité mixte de physique CNRS-Thales (UMPhy, CNRS/Thales/Université Paris-Saclay), en collaboration avec l’Université de Cambridge et l’Université catholique de Louvain, a ainsi montré qu'une monocouche bidimensionnelle de graphène placée sur une électrode ferromagnétique de cobalt peut servir d’interface ultime pour la spintronique. La réduction à l’extrême de l'épaisseur de graphène - un seul atome de carbone - permet un rapprochement suffisant entre les atomes de carbone et de cobalt pour que les orbitales atomiques s’hybrident. La couche se transforme alors en un nouveau matériau aux propriétés radicalement différentes, lui conférant un comportement de filtre à spin monoatomique ajustable qui n'avait jamais été observé dans ce type de dispositif. Suivant le régime de transport de spin (effet tunnel quantique ou nanocontact direct), les propriétés de filtrage de spin obtenues sont fortement modifiées, avec un signal de spin (magnétorésistance) allant jusqu’à 80%.
Alors que l'habitude est plutôt de chercher à préserver les propriétés intrinsèques du graphène, ces travaux publiés dans Nature Communications démontrent qu'il peut être au contraire très utile de les modifier. Et cela avec une grande économie de moyens et de matériaux, puisque l’épaisseur d’un atome suffit à métamorphoser les propriétés d’un dispositif. Loin de s’appuyer sur des techniques disponibles uniquement en laboratoire, la fabrication utilise un ensemble des procédés utilisables à grande échelle, et donc compatibles avec un développement industriel. Ces résultats montrent comment l’intégration des matériaux 2D dans les mémoires magnétiques ouvre la voie à une nouvelle famille de dispositifs de spintronique contrôlés à l’atome près, pour une électronique à haute performance.
Référence :
Spin filtering by proximity effects at hybridized interfaces in spin-valves with 2D graphene barriers.
Piquemal-Banci, M., Galceran, R., Dubois, S.MM. et al., Nature Commun, le 09 novembre 2020.
DOI: 10.1038/s41467-020-19420-6
Article disponible sur la base d’archives ouverte hal.
Contacts :
- Bruno Dlubak, Chercheur CNRS, Unité mixte de physique CNRS-Thales
- Pierre Seneor, Enseignant-chercheur Université Paris-Saclay, Unité mixte de physique CNRS-Thales