Comment étudier l'ammoniac à très haute température et très haute pression pour mieux comprendre les planètes géantes glacées
L’ammoniac (NH3) est considéré l’un des composants principaux des manteaux d’Uranus et Neptune. Aux conditions thermodynamiques de leur intérieurs, les propriétés de l’ammoniac sont très mal connues, en raison des difficultés considérables à le manipuler et comprimer. Des chercheurs et des chercheuses ont développé un dispositif adapté aux expériences de compression par choc laser pour étudier le comportement de l'ammoniac à des pressions et des températures extrêmes. Cette étude apporte de nouvelles données pour mieux comprendre certaines énigmes de géantes glacées, tels que le caractère inédit de leur champ magnétique.
Deux tiers de la masse de Uranus et Neptune sont supposés être constitués de ce qu’on appelle, en dépit de son état solide ou liquide, la “glace planétaire” : un mélange d’eau, ammoniac et méthane. À des pressions de millions d’atmosphères (Mbar) et des températures de plusieurs milliers de K typiques de leurs intérieurs, les propriétés de l’ammoniac (NH3) sont très mal connues, différemment de l’eau, beaucoup plus étudiée. Des calculs ab initio, très complexes et couteux, prédisent pour NH3 des propriétés très particulières : des phases “superioniques”, avec un comportement entre le solide et le liquide, ou la formation de fluides de différentes espèces chimiques. Confirmer expérimentalement ces prédictions est crucial car cela contribuerait à élucider certaines des énigmes relevées par les observations astronomiques de ces deux planètes : les scientifiques cherchent par exemple à comprendre l’origine de leur champ magnétique, fortement non-bipolaire et diffèrent de celui des autres planètes du système solaire. En effet, la topologie étrange de ce champ magnétique est liée à des propriétés microscopiques de la matière comprimée formant l’intérieur de ces planètes, en particulier sa conductivité électrique. Cependant, jusqu’à présent, les pressions et les températures atteintes en laboratoire pour l’ammoniac n’étaient pas suffisamment élevées pour étudier de façon pertinente les intérieurs d’Uranus et Neptune. Les expériences de compression par choc laser constituent un outil très efficace pour générer des conditions thermodynamiques extrêmes, mais adapter ce schéma expérimental à l’ammoniac nécessite le développement d’une cible adaptée.
L’ammoniac est, en effet, un matériau particulièrement difficile à manipuler et à comprimer. À température ambiante, il se présente sous forme gazeuse, ce qui a un double désavantage pour la compression par choc laser : d’un côté, cela limite la pression atteignable et, de l’autre, cela amène à des températures trop élevées. Pour surmonter ces difficultés, la démarche consiste à considérer un état initial plus dense, liquide, voire solide. Pour faire cela, il est nécessaire que la cible de NH3 soit préparée, et éventuellement maintenue, dans un état pré-comprimé et/ou à basse température avant l’expérience. Coupler ces exigences avec les contraintes imposées par les expériences laser est un véritable défi en raison des dimensions, de la compatibilité au vide ainsi que des difficultés à inclure des diagnostics adéquats. Des difficultés supplémentaires surviennent avec l’ammoniac en raison de ses propriétés chimiques, comme la corrosion et la miscibilité, qui compliquent énormément la conception et réalisation des cibles.
Des équipes du Laboratoire pour l'utilisation des lasers intenses - LULI (CNRS, École Polytechnique, CEA, Sorbonne Université)1 ont réussi ce défi, et elles ont développé un nouveau schéma de cible d’ammoniac liquide adaptée à la fois aux propriétés physiques de l’ammoniac et aux expériences de compression par choc laser. En focalisant le laser LULI2000 sur ces cibles, les chercheurs et les chercheuses ont réussi à générer une onde de choc comprimant l’ammoniac à des pressions et températures de plusieurs Mbar et allant jusqu’à 40000 K. En couplant ces données pionnières avec des nouvelles simulations numériques, ils ont mis en évidence que la conductivité électrique de l’ammoniac est un ordre de grandeur plus élevée de celle de l’eau dans des conditions similaires. Ce résultat est novateur car les données expérimentales existantes semblaient suggérer le contraire. Ces travaux soulignent ainsi la nécessité de considérer la contribution de l’ammoniac à la génération du champ magnétique d'Uranus et de Neptune et fournissent aux modèles les données nécessaires pour améliorer notre compréhension de ce processus et progresser dans la connaissance de ces deux géantes glacées. Ces travaux sont publiés dans la revue Physical Review Letters.
- 1en collaboration avec des chercheurs echercheuses du Laboratoire de géologie de Lyon (LGL-TPE, CNRS/Univ. Claude Bernard/ENS Lyon), de l’Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie (IMPMC, CNRS/MNHN/Sorbonne Univ.), et des Universitét des s de Rostok et Oslo.
Référence :
Metallization of Shock-Compressed Liquid Ammonia.
A. Ravasio, M. Bethkenhagen, J.-A. Hernandez, A. Benuzzi-Mounaix, F. Datchi, M. French, M. Guarguaglini, F. Lefevre, S. Ninet, R. Redmer, and T. Vinci. Phys. Rev. Lett. Publié le 13 janvier 2021.
DOI: 10.1103/PhysRevLett.126.025003.
Article disponible sur la base d’archives ouverte arXiv.
Contact :
Alessandra Ravasio, Chargée de recherche CNRS, Laboratoire pour l'utilisation des lasers intenses