Sara BolognesiPhysique des particules
Chercheuse en physique des particules à L’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’Univers (Irfu) du CEA.
Tout au long de sa carrière de chercheuse, entre expérimentation et théorie, Sara Bolognesi fait le choix de ne pas choisir : « Mon attention s’est toujours portée sur ces deux aspects de la recherche en physique des particules, que j’ai toujours fait cohabiter dans mes travaux ». Sa thèse de doctorat à l’Université de Turin et un premier fellowship au CERN, tous deux effectués au sein de l’expérience CMS sur le grand collisionneur LHC à la fin des années 2000, en sont une première illustration. D’un côté, Sara se concentre sur l’étude théorique des états finaux du boson de Higgs (les particules secondaires issues de sa désintégration), en mettant la focale sur le canal de désintégration à quatre leptons. De l’autre, elle participe de très près à la mise en service du système à muons de l’immense détecteur CMS. Son rôle consistait alors à caractériser avec la plus grande précision possible la réponse du détecteur, notamment la reconstruction de l’énergie des muons. Elle contribue aussi à la caractérisation du « bruit », soit le rayonnement issu des collisions du LHC duquel allait ressortir le fameux « pic » censé trahir un excès de particules attribuables aux désintégrations du Higgs.
C’est ainsi que Sara contribue activement autant scientifiquement que techniquement au dénouement de l’un des actes les plus palpitants de la physique des particules moderne. Elle est alors détachée au CERN et roule pour l’Université John Hopkins (Etats-Unis) dans laquelle elle a été fraichement recrutée. Début 2012, les données générées par le jeune LHC tombent et l’excitation est à son comble au sein de la collaboration : « La soirée de l’unblinding1 reste l’événement le plus marquant de ma carrière. Tous les membres de la collaboration qui étaient en première ligne dans la chasse au Higgs s’étaient rassemblés pour le dévoilement des dernières données. Puis le pic est apparu à l’écran, sans équivoque – on y était. Je me souviens avoir été prise d’un sentiment de vertige, m’être sentie très petite au sommet de cette montagne construite depuis plus de trente ans par des milliers de scientifiques avant moi ».
La contribution de Sara à la découverte du boson de Higgs et à l’ancrage de la particule découverte au LHC dans le modèle standard a été célébrée par la communauté de la physique des particules, à travers notamment la remise du prix Emmy Noether de la Société Européenne de Physique en 2021. Pourtant, un an après la découverte, la carrière de Sara prend un virage : « Pour moi, être chercheuse, cela suppose de ne jamais se reposer sur ses acquis. D’accepter de se confronter à de nouvelles méthodes, jongler entre les points de vue. Après plus de 10 ans de travaux sur le boson de Higgs, je ressentais intensément un besoin de renouveau, d’explorer de nouveaux terrains. La recherche sur les neutrinos me paraissait être un domaine en plein essor, ce qu’elle est toujours aujourd’hui. Sur un coup de tête, j’ai donc accepté un poste à l’Irfu pour étudier l’oscillation des neutrinos avec l’expérience T2K au Japon ».
Au CEA, plongée dans une thématique entièrement nouvelle, Sara retrouve l’équilibre entre théorie et expérimentation qui l’avait menée jusqu’aux sommets de la recherche sur le boson de Higgs. Côté théorie, elle s’investit dans la modélisation des interactions entre les neutrinos et les noyaux d’atomes au sein des immenses détecteurs de la collaboration T2K. Côté expérimentation, elle participe à la conception de ces mêmes détecteurs en accord avec les modèles qu’elle contribue à élaborer. Elle peut, dans cette tâche, s’appuyer sur l’expertise des laboratoires IN2P3, partenaires sur l’ensemble du projet, et sur le vivier de compétences du CEA – « un univers très stimulant où ingénieurs et physiciens évoluent en symbiose, où l’on est toujours proche des derniers développements technologiques ».
Cette dynamique porte ses fruits : les groupes français apportent une contribution déterminante à l’analyse des données de T2K et à la jouvence de son détecteur proche et Sara est nommée coordinatrice de la physique de T2K. C’est dans ce contexte-là qu’en 2019, T2K découvre dans ses données les premiers indices de violation de symétrie charge-parité dans le secteur leptonique, une étape importante dans l’élucidation du mystère du déséquilibre observé entre matière et antimatière dans l’Univers. « Ce beau résultat fait partie des temps forts de ma carrière. Il faut aussi dire que je l’ai vécu très différemment de la découverte du boson de Higgs. Très loin des effusions au CERN, la collaboration T2K, souvent dans la retenue, se demandait prudemment si le résultat allait être accepté par le journal Nature… qui a fini par en faire sa une ! ».
Si elle a laissé sa place de responsable du groupe Neutrinos sur accélérateurs de l’Irfu en janvier 2024, Sara ne compte plus les expériences neutrino dans lesquelles elle met les mains aux côtés de ses collègues de l’Irfu et de l’IN2P3, dont les contributions sur ces grands projets se complémentent de manière indissociable. Continuation du programme de physique de T2K, développements instrumentaux pour la future expérience japonaise Hyper-Kamiokande ou pour l’américaine DUNE… L’emploi du temps de Sara est dense et chargé. Pas question cependant de sacrifier l’équilibre entre travail et vie privée cher à Sara. « Quand mes trois enfants sont arrivés, je ne savais pas si je serais capable de poursuivre ma carrière de physicienne, connaissant le niveau d’engagement requis par la profession. C’était une période difficile, dont je me suis sortie grâce au soutien de collègues qui m’ont convaincu de la possibilité de concilier physique et maternité. Si je dois aujourd’hui dédier cette médaille d’argent du CNRS, c’est donc à ces mentors qui m’ont accompagné alors que je construisais un équilibre entre ces deux facettes de ma vie. En physique comme dans la vie privée, le secret pour s’épanouir, c’est la passion et l’amour de ce que l’on fait ».
1 Afin d’éliminer tous biais, les physiciens du LHC ont extrait et analysé toutes les données issues du détecteur avant de dévoiler, en dernier, les données concernant la zone d’énergie où le boson de Higgs était supposé apparaître. « L’unblinding » correspond à ce « dévoilement ».