Une origine bactérienne pour l'ADN des eucaryotes ?
Dans un article publié dans le journal Nature Communication, des scientifiques du Laboratoire d'optique et biosciences (LOB - CNRS/École polytechnique/Inserm) et du laboratoire Évolution, génomes, comportement et écologie (EGCE - CNRS/IRD/Université Paris-Saclay) viennent de suggérer de manière surprenante l’existence d’un transfert de gène des bactéries vers les eucaryotes. Cette découverte est basée sur l’étude de la thymidylate synthase, une enzyme nécessaire à la synthèse de novo de l'ADN. Ces observations ont fourni un nouvel aperçu sur l'évolution de l'ADN en suggérant que la capacité métabolique des eucaryotes actuels à synthétiser l'ADN pourrait provenir aussi de bactéries et non seulement des archées comme admis jusqu’ici.
L’acide désoxyribonucléique, plus communément appelé molécule d’ADN, est le support de l’information génétique dans tous les organismes vivants. L’analyse fonctionnelle et l’organisation des génomes, ainsi que les modes de régulation de l’expression des gènes, révèlent encore aujourd’hui la grande complexité et diversité des génomes et leur évolution.
L’ADN est structuré en double hélice avec une alternance de bases azotées puriques (adénine, guanine) et pyrimidiques (cytosine, thymine). Lors de la réplication, processus de synthèse ou duplication de l’ADN, la biosynthèse de la thymidine est effectuée par deux familles distinctes de thymidylate synthases ThyA et ThX suivant les espèces. Plus précisément, ces deux enzymes, essentielles à la synthèse de l'ADN catalysent la formation de désoxythymidine 5′-monophosphate (dTMP) par méthylation de la désoxyuridine 5′-monophosphate (dUMP). Ces deux familles de protéines fournissent donc un marqueur enzymatique unique de la capacité de la cellule à répliquer son information génétique puisqu’elles sont directement impliquées dans la synthèse de l’ADN.
Dans cette étude, les scientifiques ont étudié l'évolution et la fonction des thymidylate synthases (ThyX et ThyA) chez les archées Asgard. Ces procaryotes semblent être très proches des eucaryotes, de part les similitudes de certains de leurs gènes avec des gènes identifiés chez les eucaryotes. Les phylogénies de la thymidylate synthase ThyX d'Asgard et d'autres enzymes folates-dépendantes indiquent leur transmission horizontale depuis divers groupes bactériens. Les scientifiques ont tout d’abord validé la fonctionnalité de ThyX avec des approches de génétique consistant à introduire dans des bactéries le gène de ThyX de l’archée 'Candidatus Prometheoarchaeum syntrophicum' (Psyn) afin que les bactéries expriment la protéine ThyX Psyn. L’analyse des protéines recombinantes purifiées a montré que ThyX Psyn utilise efficacement les folates de type bactérien et est inhibée par les inhibiteurs ThyX mycobactériens. Ce résultat est surprenant, car la majorité des archées testées expérimentalement sont connues pour utiliser des molécules distinctes des folates bactériens dans les réactions de méthylation.
De plus, les analyses phylogénétiques suggèrent que la thymidylate synthase eucaryote, nécessaire à la synthèse de novo de l'ADN, n'est pas étroitement liée aux enzymes archéales et pourrait avoir été transférée des bactéries aux eucaryotes. Dans l'ensemble, nos résultats suggèrent pour la première fois que la capacité des cellules eucaryotes à dupliquer leur matériel génétique impliquerait à la fois des protéines de réplication archéennes et bactériennes.
Ces résultats inattendus suggèrent l’existence d’un transfert de gènes latéral récent des bactéries vers les archées, qui aurait considérablement façonner le métabolisme des archées Asgards. Dans cette étude publiée dans Nature Communications, les scientifiques apportent ainsi un éclairage nouveau sur l'évolution précoce des cellules eucaryotes.
Pour en savoir plus
Filée, J., Becker, H.F., et al. Bacterial origins of thymidylate metabolism in Asgard archaea and Eukarya. Nat Commun 14, 838 (2023). https://doi.org/10.1038/s41467-023-36487-z