Un financement européen pour prouver le potentiel applicatif des mémoires supraconductrices
Javier Villegas, directeur de recherche CNRS à l’unité mixte de physique CNRS/Thalès (UMPhy) à Palaiseau, vient de voir son projet de recherche financé par une prestigieuse bourse européenne ERC Proof of Concept 2021. Dédiée aux chercheurs ayant déjà été soutenu par une bourse ERC, ce financement vise à mettre en valeur le potentiel d'innovation d'une idée émanant de leur précédent projet. Pour Javier Villegas et son équipe, il s’agit de prouver qu’un nouveau type de dispositif électronique, les mémoires résistives supraconductrices ont un réel potentiel d’application dans les domaines du calcul neuromorphique et de l'électronique supraconductrice.
La recherche pour développer des mémoires plus rapides et plus économes en énergie, et des schémas de calcul innovants, nécessite d'exploiter de nouveaux phénomènes physiques. Un de ces phénomènes est la “commutation résistive” : un stimulus, par exemple une brève impulsion électrique, peut déclencher un saut entre deux états de résistance électrique “stable” (dit “non-volatile”) : résistance haute et basse correspondant au 0 et au 1 de la logique numérique.
Il existe une nouvelle classe de dispositifs à “commutation résistive” qui vont au-delà des mémoires binaires : ces mémoires résistives, appelées memristors, sont capables de montrer un continuum d'états de résistance non-volatils (au lieu de seulement deux) lorsqu’ils sont stimulés par une séquence d’impulsions électrique. Parce qu'ils peuvent imiter la fonction des synapses et des neurones dans le cerveau, ces memristors sont essentiels dans le domaine naissant de l'informatique neuromorphique (lire à ce propos sur CNRSleJournal.fr : « Demain, un ordinateur inspiré de notre cerveau ? »). Ils intéressent beaucoup les industriels de la microélectronique pour créer une nouvelle rupture dans les technologies de l'information.
Les memristors à effet tunnel, généralement composés d’une couche nanométrique ferroélectrique (matériau sensible au champ électrique) prise en sandwich entre deux électrodes et jouant le rôle de barrière de potentiel, semblent particulièrement prometteurs. Cependant ils sont difficiles à produire à large échelle, en raison de la délicatesse des matériaux nécessaires à leur fabrication, et leurs électrodes dissipent de l’énergie sous forme de chaleur ce qui empêche leur utilisation pour des applications en électronique supraconductrice, qui demande une température extrêmement basse.
Javier Villegas et son équipe ont proposé un nouveau type de memristors dit supraconducteurs qui présente toutes les fonctionnalités prometteuses des memristors tunnel ferroélectriques, mais qui résout leurs inconvénients et offre des fonctionnalités supplémentaires avec un champ d'applications élargi.
En utilisant des jonctions à base d’oxydes supraconducteurs et ayant une structure beaucoup plus simple (car l’oxyde et la deuxième électrode métallique sont directement en contact), les scientifiques ont constaté que la commutation de la résistance tunnel peut être produite par un mécanisme purement électrochimique, notamment une réaction d’oxydoréduction à l’interface entre les deux matériaux, contrairement aux dispositifs à barrière ferroélectrique où la commutation résulte d'un phénomène électrostatique. Les expériences menées (publiées début 2020) démontrent aussi que, lorsque l'on refroidit le dispositif et que l’oxyde entre dans sa phase supraconductrice, les effets de commutation deviennent jusqu’à 30 fois plus importants que dans la phase normale, ce qui était là encore inattendu.
Les ingrédients de fabrication et quelques applications de ces memristors supraconducteurs ont été brevetés dans le cadre d’un projet ERC (ERC CoG « SUSPINTRONICS ») démarré en 2015 par l’équipe de Javier Villegas. La sensibilité du système à la lumière a aussi pu être démontrée expérimentalement, ce qui ouvre des possibilités uniques.
Le nouveau financement ERC va permettre à l’équipe de Javier Villegas de caractériser et d’optimiser une série de propriétés essentielles pour l'exploitation technologique des effets résumés ci-dessus. Il va aussi permettre une simplification à tous les étages du schéma de fabrication du dispositif.
Le premier champ d’application concret de ce type de dispositif est le domaine de l’électronique supraconductrice, où ces memristors supraconducteurs sont très attendus pour des fonctions de traitement du signal ou de calcul. Le second champ d’application est celui du calcul neuromorphique, où le dispositif répond aux différents challenges actuels par sa simplicité, sa compatibilité avec les technologies CMOS de l’électronique actuelle, sa capacité à fonctionner en régime supraconducteur, et sa sensibilité unique à la fois au champ électrique et à la lumière.
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Javier Villegas, Directeur de recherche CNRS à l’Unité mixte de physique CNRS/Thalès