Quand la science conserve le patrimoine

La plupart des objets métalliques de notre patrimoine culturel sont soumis à une dégradation au cours du temps, des statues subissant les intempéries aux objets marins sortis de l’eau. Face à ce constat, le laboratoire commun LETRIP a été créé afin d’améliorer et de développer de nouvelles méthodes de conservation. 

La conservation des objets patrimoniaux métalliques est un enjeu bien connu, afin de limiter leur dégradation au cours du temps. Suite à l’interaction entre le métal et les conditions extérieures, principalement l’humidité, une couche de produits de corrosion se crée à la surface des objets. Afin de mieux comprendre ces mécanismes et, par là même, de proposer des solutions opérationnelles réalistes, le laboratoire commun LETRIP (Laboratoire d’Etude des Traitements et Revêtements Innovants pour le Patrimoine) a été créé par le CNRS, le CEA et l’entreprise A-CORROS.

Hébergé au laboratoire Nanosciences et innovation pour les matériaux, la biomédecine et l'énergie1, ce laboratoire commun étudie principalement des objets métalliques constitués de cuivre ou de fer, dans des contextes de dégradations physico-chimiques différents : les sculptures et objets exposés à l’air libre, voire en extérieur, et ceux issus de fouilles marines.

Afin d’assurer la bonne conservation d’un objet et de sa forme d’origine, il est nécessaire de conserver la couche de produits de corrosion, dont l’épaisseur n’est généralement pas négligeable. Dans la majorité des cas, la destruction de cette couche entraîne une perte importante d’informations sur la forme d’origine de l’objet. C’est la raison pour laquelle, la plupart du temps, la conservation des objets consiste en l’application d’un traitement de protection contre la corrosion au-dessus de cette couche de corrosion.

Déchlorurer les objets marins pour les conserver

En 2012, les premières études du laboratoire commun ont porté sur les objets corrodés en milieu marin. Le risque principal pour ces objets est l’attaque acide, qui a lieu lorsque le chlore présent dans la couche de produit de corrosion est réexposé à l’air en sortie de fouille. Le chlore réagit avec l’oxygène et réactive fortement la corrosion du noyau métallique de l’objet au point qu’il est peut conduire à la destruction de l’objet en le sortant de l’eau. 

Les scientifiques du laboratoire commun ont développé un processus faisant intervenir un mélange d’eau et de soude à l’état subcritique, c’est-à-dire à plus de 100°C, mais encore à l’état liquide car maintenu sous haute pression. Dans cet état, le mélange dissout beaucoup plus facilement les phases qui contiennent du chlore. Comme la couche de produits de corrosion est poreuse, l’eau subcritique s’infiltre dans cette couche et en extrait le chlore. Ces résultats fructueux ont permis de développer une technique innovante de protection des objets marins.

Protéger le patrimoine exposé à l’air libre avec des revêtements 

Pour les objets exposés à l’air libre, maintenir la température constante et l’humidité de l’air basse suffit lorsqu’ils sont en intérieur. Cependant, le réchauffement climatique rend difficile le contrôle de ces deux paramètres au sein d’un musée, et conserver ces bonnes conditions devient coûteux. « Il y a un réel besoin de développer de nouvelles méthodes de conservation qui allègent ces contraintes environnementales et donc les coûts de maintenance » détaille Delphine Neff, chercheuse CEA et membre du laboratoire commun. Cette protection est également un enjeu pour les structures métalliques en extérieur, soumises en permanence aux intempéries. 

Aujourd’hui, un composé très utilisé dans la conservation, appelé BTAH, est un composé toxique. Delphine Neff étudie actuellement des techniques pour utiliser un autre composé, l’acide carboxylique, comme moyen de protection. Non toxique, d’origine naturelle, ce composé qui rend la surface traitée hydrophobe présente le double inconvénient de ne pas pénétrer dans la couche de produits de corrosion s’il est appliqué directement à la surface et de s’éroder au cours du temps, rendant sa protection temporaire. C’est pourquoi, la chercheuse l’associe à un mélange liquide à base de silice qui se solidifie, appelé procédé sol-gel, capable de pénétrer en profondeur dans cette couche. Ainsi, l’acide carboxylique se fixe de manière plus pérenne dans les porosités de la couche, rendant sa protection beaucoup plus durable dans le temps.

Une collaboration public-privé aux multiples synergies

« Nos travaux seraient impossibles sans ce laboratoire commun, » précise Delphine Neff. « A-CORROS2 est une entreprise experte en corrosion et en restauration de structures anciennes, et nos compétences sont complémentaires. Avec leur savoir-faire opérationnel, ils nous aiguillent vers des solutions pratiques, adaptées au marché. L’étroite collaboration entre les deux entités est la clé du développement de nouvelles méthodes de conservation. Testées et approuvées par le laboratoire de recherche, celles-ci sont mises à l’épreuve au sein de l’atelier de conservation-restauration pour faire évoluer les pratiques en sciences des matériaux pour la conservation en améliorant le travail des opérateurs et en réduisant l’impact sur l’environnement. »

Les premiers résultats expérimentaux sur le procédé sol-gel associée à l’acide carboxylique ont été réalisés sur des éléments issus de la toiture de l’église Saint-Martin de Metz, et semblent prometteurs. Les chercheurs souhaitent élargir leurs études aux objets en bronze et laiton, afin de répondre à une part plus grande du marché. 

 

1 NIMBE (CEA/CNRS) à Gif-sur-Yvette

2 A-CORROS – https://a-corros.fr/recherche-et-innovation/