Les nanomédicaments, à petite échelle pour de grandes applications
L’équipe de Julien Nicolas, Directeur de recherche CNRS à l’Institut Galien Paris-Saclay - IGPS (CNRS/UP-Saclay) s’intéresse à un domaine en plein essor de la recherche médicale : les nanomédicaments. Entre innovation et nouvelles stratégies thérapeutiques, gros plan sur ces recherches qui visent des applications pour le traitement de maladies graves.
Entretien :
Les nanomédicaments font l’objet d’un intérêt grandissant en matière de recherche fondamentale et clinique depuis plus de 10 ans, quels sont leurs spécificités ?
Les nanomédicaments sont des structures organiques (polymères, lipidiques) ou inorganiques (matériaux poreux) de très petite taille ; quelques dizaines à quelques centaines de nanomètres1 , capables d’incorporer des molécules de principe actif. La dimension des nanomédicaments est comparable à celle d’autres objets, des anticorps ou des virus par exemple, mais 100 à 1000 fois plus petit qu’une cellule (10-100 µm).
De ce fait, le principe actif va pouvoir être véhiculé jusqu’à son site d’action (tumeur par exemple) induisant à la fois une meilleure efficacité thérapeutique et une moindre toxicité du traitement vis-à-vis des organes sains et de l’organisme en général.
Quel type de nanoparticules développez-vous, et de quelle façon les concevez-vous ?
Nous préparons principalement des nanoparticules de prodrogues2 polymères ou lipidiques, c’est-à-dire des systèmes où les principes actifs sont liés de manière covalente aux nanoparticules et non pas simplement emprisonnées de manière physique, ce qui permet d’augmenter leur quantité et surtout de mieux contrôler leur libération au niveau du site d’action.
Pour concevoir de tels systèmes, nous mettons donc au point de nouvelles structures macromoléculaires et lipidiques, ainsi que de nouvelles approches de conjugaison avec les principes actifs. Ces nouvelles stratégies de délivrance de principes actifs sont conçues en essayant de tirer profit à la fois des caractéristiques biologiques de l’environnement dans lequel les nanoparticules vont être amenées à cheminer mais également de celles de la cible thérapeutique elle-même (organe à traiter, zone tumorale, etc.).
Les principales difficultés dans le domaine des nanoparticules pour la délivrance de principes actifs résident dans la conception de systèmes à la fois simples et efficaces ; c’est-à-dire qui présentent un bénéfice thérapeutique significatif tout en pouvant être produits relativement aisément. Cependant, la plupart des stratégies actuelles reposent sur la mise au point de systèmes relativement complexes, ce qui peut représenter un frein vis-à-vis de leur développement futur (problème de reproductibilité de synthèse, de changement d’échelle, etc.).
Les approches que nous développons au sein de notre équipe se veulent les plus simples possibles du point de vue de la conception tout cherchant à obtenir un bénéfice thérapeutique maximal. Par exemple, nous travaillons sur une méthode de synthèse de prodrogues polymères présentant 2 ou 3 étapes de synthèse seulement, avec un rendement global élevé et qui peuvent ensuite être formulées en nanoparticules (cf Figure) capables de véhiculer des quantités de principes actifs nettement supérieures aux nanoparticules classiques. Notre approche permet également de se passer de l’utilisation de tensioactifs, souvent nécessaires à la stabilisation des nanoparticules : c’est la prodrogue elle-même qui joue ce rôle.
Il est à noter que les matériaux que nous employons et/ou synthétisons (polymères, lipides), sont biocompatibles et biodégradables (ou a minima éliminables par l’organisme). Nous nous assurons, au moyen de tests appropriés, que les composés que nous développons respectent ces critères.
Cette nouvelle technologie est notamment utilisée pour le traitement des cancers, peut-on envisager d’élargir la marge de manœuvre au niveau des maladie rares, orphelines et génétiques ? Et comment ?
Bien sûr ! Le concept restera similaire; à savoir véhiculer et amener les médicaments jusqu’à la zone malade ou infectée, mais en prenant en compte les spécificités de la maladie à traiter (localisation de l’organe ou du tissu malade, barrières biologiques à traverser/contourner, type de médicaments à délivrer, etc.). Par exemple, concernant les maladies génétiques, il s’agira de concevoir des nanoparticules capables de transporter des gènes. Il faudra dans un premier temps adapter nos méthodes de couplage et de synthèse de prodrogues au nouveau principe actif à transporter, puis veiller à ce qu’elles forment des nanoparticules aux caractéristiques adaptées (taille, stabilité, etc.), et enfin évaluer leur effet thérapeutique sur des modèles cellulaires et animaux pertinents.
Vous travaillez également sur l’étude des mécanismes de résistances liés à l’utilisation des antibiotiques, les nanomédicaments peuvent-ils être en capacité de leur succéder ?
Absolument, car les nanoparticules peuvent, de par leur petite taille, leurs caractéristiques physico-chimiques et leurs fonctionnalités, soit augmenter significativement l’efficacité d’antibiotiques existantes, soit agir selon de nouveaux mécanismes antimicrobiens permettant de contourner les phénomènes de résistances.
ERC : Un projet de recherche prometteur, soutenu par l’Europe
Grâce à l’obtention d’une bourse européenne « ERC Consolidator » en 2017, notre équipe s’est attaquée à un nouveau défi en oncologie : repenser l’administration des principes actifs anticancéreux en créant des nouvelles formulations à base de prodrogues polymères pour faciliter leur administration sous-cutanée et permettre, à terme, d’augmenter considérablement le confort des patients tout en proposant des traitements plus efficaces.