L’Anthropocène maya ancien, entre impacts anthropiques plurimillénaires et changements climatiques

Résultat scientifique Terre et environnement

Dans une région du monde parmi les plus densément peuplées pour son époque, les anciens Mayas ont connu de fortes fluctuations pluriséculaires des ressources en eau et en sol dans leur territoire, induites par l’anthropisation et le climat. Durant plus de 2500 ans, la fluctuation, l’exploitation et la gestion de ces ressources à des fins agricoles ont rythmé la dynamique des socio-écosystèmes mayas et ont contribué à leur durabilité. Ces travaux publiés dans la revue Quaternary Sciences Reviews ont été réalisés par une équipe interdisciplinaire de chercheurs, issue d’une collaboration établie entre huit laboratoires français. Parmi ces derniers figure le Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE - CNRS/CEA/Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines) situé à Gif-sur-Yvette.

Au cours de l'Anthropocène ancien (de 2000 ans avant notre ère jusqu’à 1000 ans de notre ère) en Méso-Amérique, les interactions socio-environnementales ont contribué à l'essor et au déclin de l'ancienne civilisation maya. A l'échelle des territoires d'exploitation des cités, les variations temporelles des dynamiques hydrologiques et sédimentaires en réponse aux contrôles anthropiques et climatiques sont encore mal connues. Cela induit une méconnaissance de la dynamique des socio-écosystèmes et en particulier des ressources en eau et en sol, ainsi que des risques associés à leur exploitation.

Cette étude analyse et présente une comparaison régionale de la dynamique d’un hydrosystème et d’un système morpho-sédimentaire parmi les plus transformés par les sociétés des Basses Terres Mayas, durant la seconde moitié de l'Holocène (les derniers 5500 ans). Elle porte sur le bassin lacustre de la dépression karstique El Infierno et son bassin versant. Ces derniers constituaient la principale réserve d’eau de la cité maya de Naachtun - une grande capitale régionale entre 150 et 950 ans de notre ère -, et qui présente de nombreux vestiges de structures hydrauliques et agraires. Le cœur des Basses Terres Mayas n’est plus occupé depuis environ un millénaire, depuis le déclin de nombreuses cités durant le Classique terminal. Actuellement, le secteur d’étude se situe dans une forêt tropicale, celle du Petén au Guatemala, où il est inclus dans la Réserve de Biosphère Maya.

Une approche intégrée paléolimnologique, géoarchéologique et hydrologique a été développée pour réaliser cette étude. Elle est basée sur l'analyse des archives sédimentaires de terrain, des données altimétriques LiDAR (Light Detection And Ranging) aéroportées et des données hydrologiques de terrain. Elle a permis de construire des référentiels hydrologiques et sédimentaires, pour les périodes antérieures, contemporaines et postérieures aux anciennes occupations mayas.

Actuellement, le lac de la dépression karstique El Infierno est intermittent et répond à de fortes variabilités hydrologiques saisonnières et interannuelles, sous contrôle climatique. Au cours des 5500 dernières années, ses fluctuations hydro-sédimentaires ont été marquées par l'alternance de sept périodes hydrologiques principales, caractérisées par des niveaux lacustres hauts et bas (lac alternativement pérenne, intermittent et sec) et de six périodes principales d'érosion et de transfert sédimentaires, marquées par des apports de sédiments (les « argiles mayas ») forts et faibles. L’anthropisation et le climat ont contrôlé indépendamment et parfois conjointement ces fluctuations, qui ont représenté des contraintes et des opportunités pour les anciens mayas. Par exemple, dès 1500 ans avant notre ère, le défrichement de la forêt à des fins agricoles par les Mayas a contribué à augmenter les ressources en eau des territoires, en modifiant les bilans hydrologiques des bassins versants. Ultérieurement (entre 1500 ans avant notre ère et 1150 ans de notre ère), le dépôt des « argiles mayas » dans les dépressions karstiques en réponse à l’érosion anthropique des sols, a transformé irréversiblement les lacs et les zones humides des territoires. Les niveaux lacustres ont ainsi été abaissés tandis que des sols développés à l’emplacement des anciens littoraux lacustres sont devenus des espaces agricoles où le maïs a été cultivé. Enfin, vers 1000 ans de notre ère, un épisode de bas niveau lacustre, survenu en réponse à une période de sécheresse, n'a pu que réduire les rendements agricoles et cela durant l’apogée démographique de la cité. Ces dynamiques ont pu accroître les tensions socio-environnementales, économiques et politiques du socio-écosystème, peu avant et pendant son déclin définitif.

Cette étude révèle ainsi une des plus longues périodes d'occupation et d'exploitation des ressources naturelles des Basses Terres Mayas (BTM), pendant plus de 2500 ans, au cours des périodes mayas préclassique, classique et postclassique. Il apparaît ainsi que les dynamiques hydro-sédimentaires en jeu dans les nombreuses dépressions karstiques des BTM, ont permis l'exploitation à long terme des ressources en eau et en sol à des fins agraires, grâce à la construction de paysages palimpsestes, hydrauliques et agraires, façonnés par les socio-écosystèmes mayas.

Cette étude renseigne et analyse de manière intégrée quatre principaux pics dorés (« Golden Spikes ») considérés pour l'Anthropocène maya ancien. Présents dans la stratigraphie des enregistrements sédimentaires, ils marquent la transformation anthropique des milieux biophysiques des BTM, à large échelle et dès le Préclassique. Il s’agit des « argiles mayas », des paléosols anthropisés, des rapports isotopiques du carbone dans les séquences pédo-sédimentaires anthropisées et des indicateurs de l'activité humaine dérivés du LiDAR (variables qualitatives et quantitatives) encore présents dans le paysage actuel (habitat, terrasses agricoles, champs surélevés et drainés).

Désormais, la connaissance des fluctuations hydro-sédimentaires passées permettra d'étudier leurs implications agronomiques et économiques sur la dynamique et la durabilité des socio-écosystèmes passés, mais également leurs implications sur les dynamiques environnementales actuellement en jeu dans la Réserve de Biosphère Maya.

Légende : Milieux biophysiques actuels de la dépression lacustre et de la zone humide El Infierno, situées à côté de la cité de Naachtun dans la réserve de Biosphère Maya au Guatemala (photos A à F). Archives sédimentaires des dynamiques environnementales et socio-environnementales passées et leur prélèvement (photos C, E, G et H).
Crédits : Cyril Castanet.

Légende : Reconstitution de l’ancien lac et des paysages palimpsestes, hydrauliques et agraires, façonnés par les socio-écosystèmes mayas autour du centre de la cité de Naachtun, entre ∼1500 ans avant notre ère et ∼1150 ans de notre ère. Haut : Vue depuis le centre de la cité vers la dépression lacustre située au nord. Bas : Vue depuis la dépression lacustre vers la cité. Surface du modèle : ~10 km².
Crédits : Cyril Castanet, Projet Naachtun

Laboratoires CNRS impliqués

  • Laboratoire de Géographie Physique : Environnements Quaternaires et Actuels (LGP – CNRS / Université Panthéon Sorbonne / Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne)
  • Cultures et Environnements. Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge (CEPAM - CNRS / Université Côte d'Azur)
  • Environnement Dynamique et Territoires de la Montagne (EDYTEM - CNRS / Université Savoie Mont Blanc)
  • Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE - CNRS / CEA / Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines)
  • Archéologie des Ameriques (ARCHAM - CNRS / Université Panthéon-Sorbonne)
  • Archéosciences-Bordeaux : Matériaux, temps, Images et Sociétés (Archéosciences-Bordeaux - CNRS / Université Bordeaux Montaigne)
  • Géosciences Rennes (CNRS / Université Rennes 1)

Objectifs de développement durable

pictODD

  • Objectif 13 : Lutte contre les changements climatiques

Ces recherches contribuent particulièrement à atteindre le sous-objectif « Lutte contre tous les risques climatiques », en renforçant notre connaissance de la réponse des environnements biophysiques tropicaux actuels et passés aux changements climatiques et notre connaissance de la réponse des socio-écosystèmes mayas anciens aux changements climatiques.

Référence

CASTANET C., PURDUE L., TESTE M., GARNIER A., DEVELLE-VINCENT A.-L., MOKADEM F., HATTE C., GAUTHIER C., LANOS P., DUFRESNE P., LEMONNIER E., DUSSOL L., HIQUET J., NONDEDEO P., 2022. Multi-millennial human impacts and climate change during the Maya early Anthropocene : implications on hydro-sedimentary dynamics and socio-environmental trajectories (Naachtun, Guatemala). Quaternary Science Reviews

Retrouver l'actualité sur le site de l'Institut écologie et environnement du CNRS (INEE)