La robustesse des organismes à différentes sources de perturbations est capable d'évoluer
Les organismes vivants sont capables de survivre à diverses perturbations, qu'elles soient d'origine interne (par exemple, l'altération d'un gène suite à une mutation), ou externe (un stress environnemental). De nombreux mécanismes physiologiques peuvent être impliqués, mais la robustesse passe souvent par la modification de l'expression d'un certain nombre de gènes, afin de compenser, d'atténuer, ou de contourner les effets des perturbations. L'expression des gènes est sous contrôle de réseaux de régulation, des systèmes complexes dont on comprend toujours mal le fonctionnement et le mode d'évolution. Cette étude a fait l’objet d’une recommandation dans la revue Peer Community in Evolutionary Biology. Le laboratoire Évolution, génomes, comportement et écologie (EGCE - CNRS/IRD/Université Paris-Saclay) à Gif-sur-Yvette est impliqué dans cette étude.
Pourquoi les réseaux de régulation sont-ils robustes? Être capable de survivre et de se développer normalement malgré un environnement inhabituel ou un défaut génétique mineur apporte indéniablement un avantage évolutif. Cependant, le mode et l'intensité de la sélection naturelle pour la robustesse semble très différent en fonction de la nature de la perturbation, et du moment où elle a lieu (par exemple, au cours du développement précoce de l'organisme, ou bien plus tard dans sa vie). Pourtant, les réseaux de gènes semblent robustes à beaucoup de perturbations, quelle qu'en soit l'origine. Serait-il possible que la robustesse soit une propriété unique des systèmes biologiques? Auquel cas, la sélection pour la robustesse à un facteur environnemental courant (par exemple, des températures extrêmes) entraînerait aussi l'évolution de la robustesse à des perturbations qu'on imagine trop anecdotiques pour expliquer une réponse évolutive spécifique (par exemple, une maladie génétique rare).
Dans ce travail, cette question a été abordée d'un point de vue théorique et fondamental. L'évolution de réseaux de régulation a été simulée par un modèle numérique, et la robustesse de ces réseaux à différentes sources de perturbations (génétiques et environnementales, au début du développement et après que le réseau ait atteint un équilibre) a été mesurée. Ces modèles confirment que les réseaux possèdent bien une composante de robustesse commune à tout type de perturbations. Toutefois, cette composante n'est pas unique, et la robustesse à chaque perturbation reste partiellement indépendante. Les simulations démontrent que les différents aspects de la robustesse peuvent évoluer quand les réseaux plus ou moins robustes sont favorisés par la sélection, et que ces robustesses peuvent évoluer, dans une certaine mesure, dans des directions opposées. Il est donc théoriquement possible d'être par exemple robuste aux mutations, et sensible à l'environnement, ou vice versa.
La biologie évolutive des systèmes (la discipline qui s'intéresse à l'évolution de la complexité et de la structure des mécanismes biologiques) manque de fondements théoriques. Ces travaux de modélisation ouvrent des perspectives intéressantes, qu'il sera possible de valider empiriquement : est-ce que les réseaux de régulation évoluent différemment chez des espèces particulièrement confrontées à des stress environnementaux récurrents ? Est-il possible d'observer de tels changements dans le cadre d'évolution expérimentale en laboratoire ?
L'expression des gènes (ici, deux gènes sont représentés, un rouge et un noir -- lignes épaisses) varie au cours du développement d'un individu. Quand le réseau de régulation est perturbé, l'expression des gènes s'écarte de sa valeur de référence (lignes fines). Quatre types de perturbations sont illustrées : modification génétique au début (première colonne) et à la fin (deuxième colonne) du développement, modification de l'environnement au début (troisième colonne) et à la fin (quatrième colonne) du développement. En fonction de la structure du réseau de régulation, les mêmes perturbations peuvent avoir des conséquences différentes. Par exemple, le réseau B (deuxième ligne) est plus robuste, de manière générale, que le réseau A (première ligne).
Référence
Gene network robustness as a multivariate character. Arnaud Le Rouzic. (2022) arXiv:2101.01564
Les résultats de cette étude ont fait l'objet d'une recommandation par la communauté dans le cadre de PCI Evolutionary Biology (recommandation: https://evolbiol.peercommunityin.org/articles/rec?id=370)