De l’effet photoélectrique aux technologies quantiques
L’utilisation de supraconducteurs désordonnés pourrait s’avérer utile pour développer des circuits quantiques dans les ordinateurs quantiques supraconducteurs. La génération de l’effet photoélectrique avec un supraconducteur désordonné est au cœur des recherches menées par Jérôme Estève, chargé de recherche CNRS au Laboratoire de physique des solides1 . Son projet BOCA est financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), dont l’objectif est de soutenir l’excellence de la recherche et l’innovation française sur le plan national, européen et international.
- 1LPS - CNRS/Université Paris-Saclay
L’effet photoélectrique désigne l’émission d’électrons par un matériau métallique lorsque ce dernier est exposé à la lumière. Dans la version quantique de ce phénomène, « c’est comme au billard », simplifie Jérôme Estève : « Le photon tape dans l’électron, et cet électron part du métal. » L’électron émis par le photon peut ainsi être mesuré.
En physique classique, le nombre d’électrons émis devrait être proportionnel à l’intensité – soit le nombre de photons –, « et on devrait s’attendre à une intensité minimale au-dessus de laquelle les électrons devraient sortir du métal », soulève le scientifique. Ce qui n’était pas vérifié dans les expériences.
En effet, dans un système quantique, contrairement à un système classique où les quantités d’énergie échangées peuvent prendre n’importe quelle valeur, l’énergie échangée est quantifiée : elle ne peut prendre que certaines valeurs précises dites ‘‘discrètes’’, ou non continues.
« L’échange d’énergie étant quantifié, tel que décrit en mécanique quantique, le photon doit donner son énergie à l’électron, explique Jérôme Estève. Pour que l’électron puisse être éjecté du métal, il faut donc que cette énergie soit suffisamment grande. C’est indépendant de l’intensité de la lumière : si chaque photon ne peut pas faire sortir l’électron du métal, on peut en envoyer une très grande quantité, il ne se passera rien. Par contre, si un photon a suffisamment d’énergie pour sortir l’électron, là, les électrons vont pouvoir sortir. »
Ces propriétés de l’effet photoélectrique ont été observées au début du XXe siècle dans les expériences de Lenard. Ces résultats, ainsi que ceux d’autres expériences, ont inspiré Albert Einstein pour prédire que la lumière était composée de photons.
Sauf que dans la plupart des expériences modernes, lorsque les scientifiques veulent expliquer l’effet photoélectrique, comme les lumières utilisées sont très intenses, il est possible de négliger le fait qu’elles sont constituées de photons et d’obtenir des résultats corrects. Jérôme Estève et son équipe ont donc eu l’idée de réaliser une manipulation permettant de revenir à l’effet photoélectrique « originel », où le photon est obligatoirement traité de manière quantique et où le caractère corpusculaire de la lumière ne peut être omis.
Dans leur expérience, le système de départ est une jonction tunnel : deux métaux, séparés par une couche d’isolant, auxquels une tension est appliquée. « Nous envoyons des photons pour faire passer les électrons d’un côté à l’autre de la barrière tunnel, décrit le chercheur du LPS. Mais nous allons envoyer des photons dont la fréquence est très petite, de l’ordre du gigahertz, et non dans le spectre visible. »
La nouveauté dans la manipulation menée par l’équipe de Jérôme Estève est l’utilisation d’un supraconducteur désordonné, faisant office de résonateur. « C’est comme une corde vibrante, et ce qui vibre est une onde électromagnétique, image Jérôme Estève. En ajustant la longueur de cette ‘‘corde’’, elle résonne à la fréquence voulue pour la manipulation. L’idée est que grâce à ce matériau, en mettant un seul photon dans le mode résonnant, ce photon va pouvoir créer une tension électrique très grande et donc avoir un effet important sur les électrons dans la jonction. » Ainsi, Comme l’effet d’un photon unique est grand, le caractère quantique de la lumière ne peut être négligé.
Si ces recherches sont fondamentales, elles pourraient connaître des applications et notamment « ouvrir la voie vers une nouvelle méthode pour développer un détecteur de photon unique, dans une gamme où le photon a une énergie faible », explique le chercheur du LPS. Ces travaux auront un intérêt pour les technologies quantiques car les photons micro-ondes sont les bits quantiques dans les ordinateurs quantiques à base de circuits supraconducteurs.
Cette nouvelle méthode de détection de photon unique « pourrait donc permettre la lecture d’informations quantiques dans ces ordinateurs quantiques », souligne le scientifique. D’autre part, les supraconducteurs désordonnés pourraient s’avérer utiles pour développer des circuits quantiques dans cette architecture d’ordinateurs.