Bornes quantiques au chaos
Le comportement chaotique des systèmes classiques non linéaires est un effet omniprésent résultant de l’imprévisibilité de leur dynamique complexe. Dans un travail récent, des physiciennes et des physiciens théoriciens - notamment de l'Institut de physique théorique (IPhT - CNRS/CEA) - montrent que des limites au chaos, imposées par la mécanique quantique, sont déterminées par un principe universel d'équilibre thermique.
La plupart des systèmes décrits par la mécanique classique peuvent avoir des comportements chaotiques, ce qu’avait compris Poincaré dès 1888 dans son analyse du problème à trois corps. Dans ces régimes dynamiques, un décalage même minime entre deux configurations de départ voisines croît exponentiellement, les deux systèmes évoluant ensuite de façon complètement différente. Le coefficient de l’exponentielle s’appelle l’exposant maximal de Lyapunov et quantifie le degré de chaoticité du système. Le météorologue Lorenz redécouvrit beaucoup plus tard cette sensibilité aux conditions initiales (et l’imprédictibilité des trajectoires qu’elle implique), et popularisa le phénomène en 1972 sous le nom d’« effet papillon ». En mécanique quantique, trouver la signature de comportements qui seraient l’équivalent du chaos classique est un problème compliqué, malgré le fait que la mécanique classique émerge naturellement de la quantique quand les corps en interaction deviennent macroscopiques. Cette question a fait l’objet de débats intenses depuis des décennies, et récemment des équivalents quantiques de l’exposant de Lyapunov ont été discutés, établissant ainsi que le chaos classique imprime sa marque dans le monde quantique de façon très analogue.
En parallèle, d’autres contributions de ce domaine ont établi que la mécanique quantique influence réciproquement le chaos des systèmes dynamiques, en bornant de façon universelle les exposants de Lyapunov classiques. Ce résultat a suscité un intérêt considérable car il résonne avec d’autres travaux théoriques qui ont montré que la viscosité et la conductivité de certains systèmes sont également contraintes aux basses températures, sans qu’on sache faire encore le lien entre ces propriétés. On a même constaté avec surprise pour certains modèles de trous noirs, ces limites sont atteintes exactement...
Des scientifiques du Laboratoire de physique de l’École Normale Supérieure (LPENS, CNRS/ENS/Sorbonne Univ./Univ. Paris Cité) et de l’Institut de physique théorique (IPhT, CNRS/CEA) viennent d’ajouter un élément important à ce débat, en reliant les bornes quantiques des exposants de Lyapounov à une relation cardinale de la physique statistique (dans sa version quantique), la relation de Fluctuation-Dissipation, énoncée pour la première fois en 1905 par Einstein dans sa théorie du mouvement brownien. Ce lien ouvre une voie prometteuse pour trouver le « chaînon manquant » et relier les différentes bornes quantiques découvertes ces dernières années. Ce travail est publié dans la revue SciPost Phys.
Référence
Quantum bounds and fluctuation-dissipation relations
S. Pappalardi, L. Foini, J. Kurchan, SciPost Phys. 12, 130, paru le 14 avril 2022.
DOI : 10.21468/SciPostPhys.12.4.130
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