Aux origines de la poussière cométaire
La matière à l’origine de la formation du système solaire est loin d’avoir livré tous ses secrets. Le projet de recherche COMETOR (COMETary dust ORigin) vise à la caractériser grâce à l’analyse de micrométéorites. Commencé il y a une dizaine d’années, ce projet est financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), dont l’objectif est de soutenir l’excellence de la recherche et l’innovation française sur le plan national, européen et international. COMETOR implique une équipe d’une quinzaine de scientifiques travaillant dans six unités mixtes de recherche CNRS : IJCLab1 , ISMO2 , ICP3 , IMPMC4 , UMET5 et IPAG6 .
- 1Laboratoire de physique des 2 infinis - Irène Joliot-Curie (IJCLab – CNRS/Université Paris-Saclay/Université Paris Cité), situé à Orsay
- 2Institut des sciences moléculaires d'Orsay (ISMO – CNRS/Université Paris-Saclay), situé à Orsay
- 3Institut de chimie physique (ICP – CNRS/Université Paris-Saclay), situé à Orsay
- 4Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie (IMPMC – CNRS/Sorbonne Université/MNHN), situé à Paris
- 5Unité matériaux et transformations (UMET – Centrale Lille Institut/CNRS/INRAE/Université de Lille), situé à Villeneuve d’Ascq
- 6Institut de planétologie et d'astrophysique de Grenoble (IPAG – CNRS/Université Grenoble Alpes), situé à Saint-Martin d’Heres
Les micrométéorites sont des particules de poussières extraterrestres, constituées de petits minéraux et de matière organique, formées au tout début de l'évolution du système solaire il y a 4,5 milliards d’années. Ces particules proviennent de la ceinture d’astéroïdes, située entre Mars et Jupiter, et de comètes provenant de zones plus lointaines du Système Solaire. Elles tombent, sous la forme de particules de poussière, partout sur Terre, à raison d’environ 5 200 tonnes par an7 .
Les micrométéorites étudiées dans le cadre du projet COMETOR sont collectées au cœur de l’Antarctique, dans les neiges proches de la station franco-italienne Concordia. Elles y sont préservées à plus basse température et dans de bien meilleures conditions que dans n’importe quelle autre région du globe. Ce programme de recherche permet de maîtriser l'ensemble du processus d’analyse, depuis la collecte jusqu’aux analyses les plus poussées et la modélisation permettant de comprendre les caractéristiques de ces particules.
Le projet COMETOR a démarré peu avant 2010 avec la découverte d’une nouvelle famille de micrométéorites appelées les micrométéorites ultracarbonées (UCAMMs)8 . « Elles sont très intéressantes car elles contiennent des proportions exceptionnellement élevées de matière organique », explique Cécile Engrand, directrice de recherche CNRS à IJCLab et coordinatrice du projet ANR.
L’objectif du projet COMETOR est triple : comprendre la formation de la matière organique et des minéraux qui composent les micrométéorites ultracarbonées, étudier leurs variations de compositions avec la distance par rapport au soleil, et expliquer comment les différents environnements rencontrés - milieu interplanétaire radiatif, atmosphère terrestre, Antarctique - ont pu modifier les UCAMMs.
Le projet suit un protocole innovant pour caractériser à la fois la matière organique, les minéraux et leur association au sein des UCAMMs, à l’aide de techniques d’analyses de pointe. « Nous ne disposons pas de centaines d’UCAMMs... Jusqu’à présent, nous en avons identifié une vingtaine, chacune mesurant environ 0,1 millimètre. Nous nous intéressons donc à des quantités de matière très petites, mais d’une importance cruciale pour comprendre l’ensemble des réservoirs de matière présents dans notre système solaire », souligne la chercheuse d’IJCLab. Des simulations expérimentales de leur évolution depuis l'espace interplanétaire jusqu’à leur collecte en Antarctique ont également été réalisées sur des analogues organiques cométaires et sur des UCAMMs synthétiques produites en laboratoire.
COMETOR a notamment permis de proposer un mécanisme de formation de cette matière organique. En effet, l’une des caractéristiques uniques à ces particules est le fait que la matière organique des UCAMMs contient beaucoup d’azote, comparée aux autres météorites. « A la suite d'échanges au sein du consortium pour comprendre la cohérence de l'ensemble des mesures, a émergé l’hypothèse que cette matière organique riche en azote se formait par irradiation de glaces dans des régions très lointaines, au-delà de l'orbite de Neptune », retrace la chercheuse.
Des expériences ont alors été réalisées au Grand accélérateur national d'ions lourds (GANIL), situé à Caen. Elles ont mis en évidence, qu’effectivement, en reproduisant l’irradiation par le rayonnement cosmique « nous obtenons la formation d’un résidu organique dont les caractéristiques spectroscopiques ressemblent de façon frappante à celles des UCAMMs » ; confirmant ainsi l’hypothèse de départ.
« Nous cherchons les archives du système solaire »
L’équipe de chercheurs s’est aussi penchée sur les compositions isotopiques, de la matière organique en particulier. Cela a permis de déterminer que cette dernière s’est formée à très basse température, du fait qu’elle est très enrichie en deutérium, un isotope lourd de l’hydrogène.
« En effet, pour enrichir la matière organique en deutérium au niveau observé dans les UCAMMs, il faut faire appel à des réactions qui ne sont efficaces qu’à des températures inférieures à quelques dizaines de Kelvins (environ -200°C) », précise Cécile Engrand. Les UCAMMs viennent donc probablement des régions du système solaire très éloignées, d’une époque où les planètes n’étaient pas encore formées : « Nous cherchons vraiment les archives du système solaire dans ces échantillons. »
Même si les scientifiques n’ont pas la preuve formelle de l’origine cométaire des UCAMMs, le fait « qu’elles contiennent beaucoup de carbone », qu’elles « aient été formées à très basse température et donc très loin de la Terre », sont donc autant d'indications de leur origine cométaire, détaille Cécile Engrand. Cela permet d’étudier en laboratoire des particules extraterrestres trouvées sur Terre approchant celles rapportées par les missions spatiales.
Le projet COMETOR s’est également intéressé à l’interface entre la matière organique et les minéraux, pour des applications sur les apports de matière organique sur la Terre antérieurs à l'émergence de la vie. « Les surfaces minérales peuvent être des surfaces catalytiques qui favorisent et amplifient des réactions de chimie organique, qui peuvent éventuellement favoriser l'émergence et l’évolution du vivant », note la scientifique d'IJCLab. L'étude des interfaces entre matière organique et minéraux est rendue possible en particulier par l'analyse par nanospectroscopie infrarouge (AFM-IR), une technique innovante, inventée et développée par Alexandre Dazzi à l'ICP depuis une quinzaine d'années.
Ce ne sont là que quelques exemples des recherches menées par l’équipe de COMETOR sur les micrométéorites ultracarbonées. Ces travaux contribuent à la compréhension de la formation et de l’évolution de la matière solide dans les régions externes du disque de gaz et de poussière où se sont formées les planètes (le disque protoplanétaire).
Les différents résultats obtenus sont par ailleurs cruciaux pour l’interprétation des données de missions spatiales comme Rosetta (ESA) et Stardust (NASA), pour les missions de retour d’échantillons Hayabusa2 (JAXA) et OSIRIS-Rex (NASA), ainsi que pour les futures observations de disques protoplanétaires par le télescope spatial James Webb (JWST, NASA).
- 7The micrometeorite flux at Dome C (Antarctica), monitoring the accretion of extraterrestrial dust on Earth. J.Rojas, J.Duprat, C.Engrand, E.Dartois, L. Delauche, M. Godard, M. Gounelle, J.D. Carrillo-Sánchez, P. Pokorný and J.M.C. Plane. Earth & Planetary Science Letters 560, 116794, 2021. https://doi.org/10.1016/j.epsl.2021.116794
- 8Extreme deuterium excesses in ultracarbonaceous micrometeorites from central Antarctic snow. J. Duprat, E. Dobrica, C. Engrand, J. Aléon, Y. Marrocchi, S. Mostefaoui, A. Meibom, H. Leroux, J.-N. Rouzaud, M. Gounelle and F. Robert. Science 328, 742-745, 2010. http://dx.doi.org/10.1126/science.1184832